Le cur de
Bruxelles abrite une étonnante concentration d'institutions culturelles
néerlandophones. Dans un quartier en mutation, elles prônent
l'ouverture vers tous les publics. Une question de philosophie et de nécessité.
Enquête par Stéphanie
Meyer
« La guéguerre
entre Communautés française et flamande pour s'approprier
l'ancien cinéma Kladaradatch ? C'était ridicule ! »
Réponse d'un autre néerlandophone dus secteur culturel bruxellois
: « C'était un jeu politique don't les artistes ne sont pas
demandeurs. » Un autre encore : soupir
« C'est l'histoire
de personnes qui n'habitent pas à Bruxelles. Et qui ne comprennent
pas comment ça marche ici ! »
Ici, c'est surtout
au cur du centre-ville. Un endroit où l'échec du cinéma
« Klada » lancé par des Flamands détonne un peu
avec la forte concentration d'initiatives et d'institutions culturelles
néerlandophones.
Si certaines sont là
depuis longtemps comme le Théâtre royal flamand (KVS) âgé
de plus d'un siècle, beaucoup sont apparues, ou ont connu une évolution
importante, pendant ces 20 - 30 dernières années. Changement
d'équipe au KVS sous la direction de Franz Marijnen, création
du Beursschouwburg (BSB) en 1974 avec une programmation plus large depuis
dix ans, installation de l'Ancienne Belgique (AB) dans un ancien music-hall
racheté par la Communauté flamande en 1979, et inauguré
dans sa forme actuelle en 1997. Sans oublier le Kaaitheater qui annonce
qu'il ne faudra plus qu'on l'appelle Lunatheater à partir de la saison
prochaine. Il y a encore la Bibliothèque centrale de la Commission
communautaire flamande bruxelloise, le grand centre communautaire socioculturel
De Markten qui travaille depuis 1978 (don't le bâtiment est toujours
en chantier)
Impossible de lister toutes les initiatives qui dynamisent
le centre-ville.
Un centre en mutation
Quant à savoir
pourquoi cette concentration dans un mouchoir de poche, les pistes de réponses
sont multiples : charme du quartier, patrimoine architectural, lieu historique
de spectacles, volonté du politique qui a beaucoup investi dans les
infrastructures culturelles ces dernières années
et
puis sa centralité, sa facilité d'accès et donc son
large public potentiel.
Quartier de plus en
plus branché où sortent les jeunes cosmopolites, cet espace
urbain a pourtant été délaissé pendant des années.
Boîtes de nuits, grande rotation des habitants, chancres, insécurité.
Le phénomène de redynamisation de la rue Dansaert notamment
grâce à l'installation de stylistes a commencé timidement
dans les années 80. Et progressivement la mayonnaise a pris, appuyée
par la rénovation de l'espace public (« contrat de quartier
») à partir de 1994. « En 1993, on a fait des concerts
dans le bâtiment de l'ancien Hôtel central (face à la
Bourse) qu'on squattait avec des associations. Par la culture, on voulait
élargir le public susceptible de s'intéresser à la
problématique de ce centre-ville fui par ses habitants », rappelle
Marijke Vandebuerie, directrice du BSB.
S'inscrire dans son
quartier
Aujourd'hui, un nouveau
type d'habitants est attiré dans cette zone où sont installés
des réalisateurs, designers, artistes. Le centre-ville change d'image,
même s'il est encore perçu par une partie des Flamands de Flandre
comme sale, dangereux, hostile
Afin de lutter contre
cette vision, de hautes écoles flamandes et la VUB ont créé
une association qui promeut le Pentagone comme «Quartier Latin »,
en rachetant des immeubles pour y installer des chambres d'étudiants.
Arrivé en Bruxelles
en 1991 - 1992 pour ses études, le Wevelgemois (Flandre occidentale)
Bruno de Lille a vu cette dynamique culturelle néerlandophone se
développer. C'est d'ailleurs un des éléments qui l'a
poussé à venir habiter à Bruxelles-ville. Aujourd'hui,
ce jeune échevin des Affaires flamandes (Agalev) travaille au lancement
d'un conseil culturel flamand pour appuyer la culture par des actions ponctuelles.
« Si on groupe, par exemple, la publicité sur les manifestations
des petites associations, on pourra améliorer leur visibilité.
» Car pour vivre, il faut être connu.
Des acteurs culturels
des deux communautés regrettent d'ailleurs le manque de progression
dans le projet de guichet unique d'information sur les manifestations artistiques
dans la capitale.
Si on sait que Bruxelles,
comme Gand ou Anvers, attire un public qui vit en Flandre, «cela reste
un combat au jour le jour ! » insiste Jempi de Cooman, responsable
au KVS. « Les Flamands qui travaillent à Bruxelles n'ont pas
toujours envie d'y revenir le soir. Or les habitants néerlandophones
du centre ne représentent que 10 pc de nos spectateurs. » Impossible
donc de se limiter à se public bruxellois. Le constat est le même
dans beaucoup d'institutions, lesquelles se sont ouvertes aux francophones.
Pas de problèmes pour les arts non verbaux, d'autant que programmes
et accueil bilingues se généralisent depuis longtemps. Pour
le théâtre, le recours au surtitrage est de plus en plus fréquent.
Et on voit apparaître des pièces mêlant français
et néerlandais (troupe Dito'Dito).
Si la démarche
vers les autres communautés répond à une nécessité,
elle est aussi un choix philosophique. Plusieurs de ces lieux de culture
montrent une volonté d'intégration dans leur environnement.
« Si on est au centre-ville, on est aussi là où il y
a une population locale avec qui on aime travailler », explique Nora
De Kempeneer, responsible de De Markten, installé dans le quartier
Sainte-Catherine. « On a toujours voulu être une partie de la
rue et de la place. Pas « les Flamands dans leur kot'. Et le cuccès
du café témoigne d'une certaine réussite. On retrouve
aussi un café au BSB. Un lieu intermédiaire où les
gens peuvent être sensibilisés à la programmation artistique.
« Chez nous, c'était l'esprit de Bruxelles 2000 avant la lettre.
On a des programmes expérimentaux très pointus, et d'autres
beaucoup plus larges. » Si le Beurs présente des «vedettes
», il donne aussi sa chance à de jeunes artistes. Que se soit
pour les concerts, pièces, films, spectacles de danse, ets. Cette
volonté d'ouverture se retrouvera matérialisée dans
la galerie qui traversera le bâtiment du BSB en rénovation.
Ces travaux sont tels
que l'équipe a dû déménager en février
pour s'installer dans un bâtiment rue de la Caserne où elle
restera jusqu'a la fin 2002. Excentré, le « BSB bis »
espère agrandir ainsi l'espace culturel de l'hyper centre-ville vers
cette zone moins favorisée.
Idem pour le KVS également
en chantier. En attendant l'ouverture en 2002 d'une seconde salle (200 places)
et la fin de la rénovation du bâtiment historique prévue
pour 2004, le théâtre est au «Bottelarij » à
Molenbeek-Saint-Jean. « Vu la forte population allochtone, il était
impossible d'ouvrir nos portes vers le quartier avec une programmation en
néerlandais. On a donc présenté un spectacle venant
du Maroc, un autre en arabe et français », explique M. de Cooman.
La programmation s'élargit et part de la réalité «melting-pot
» de Bruxelles. « Le KVS n'est plus un bastion de la Communauté
flamande comme il était avant. »
12-05-2001
Bron : La Libre Belgique
|